Septième séminaire de WE

Je n'anticipais pas du tout la venue de ce W.E. , et je fis mes bagages tranquillement, comme allant participer à une activité familière.
Nous étions à nouveau au CREPS de Chatenay-Malabry, mais n'y fûmes pas affectés comme d'habitude par son caractère impersonnel.
Nous trouvâmes instantanément le contact entre nous, et nous sentîmes à l'aise, ce qui fit dire à certain(e)s que le groupe avait franchi une étape.
Etait-ce le temps radieux de cette journée d'octobre, façon été indien ?

Nos facilitateurs étaient Patrick Kauffmann, le mari d'Olga, et Brigitte Darras, psychologue en milieu hospitalier spécialisé en psychiatrie.

Très vite j'interrogeai Brigitte sur son expérience professionnelle.
J'étais spécialement motivé de savoir si les traitements, souvent lourds, que reçoivent les malades, ne les bloquent pas dans leur évolution, s'ils n'empêchent pas toute possibilité de soin psychothérapeutique.
Dans mon expérience personnelle, mes psychiatres m'avaient dit que le traitement "pillule" avait pour but de permettre la psychothérapie.
Mais je n'avais suivi une vraie psychothérapie qu'après avoir arrêté tout traitement médicamenteux.
Et les "usagers" (on appelle ainsi maintenant pudiquement les malades) que je rencontre actuellement dans le cadre d'une association, depuis plusieurs années, ne semblent pas évoluer d'une façon visible pour moi.
A tel point que depuis quelque temps je n'ose plus y remettre les pieds, tellement je ne supporte plus la différence de "vitesse d'évolution", avec ce qui se passe dans notre groupe de formation.

Ils disent eux-mêmes être "stabilisés" grâce à leurs médicaments.
Je trouve cette expression affreuse, car si en effet ils n'ont plus de symptômes comportementaux importants ou de souffrances intérieures insupportables, ils restent dans un état intermédiaire.
Cela ne leur permet pas d'avoir une vie dite "normale", et ils semblent se contenter de cet état et s'y installer.

Mon questionnement était donc : n'y a-t-il pas d'autre espoir que cette vie "au ralenti" procurée par les médicaments, la psychothérapie est-elle vraiment impuissante avec ces personnes sous traitement ?

Tout le groupe était intéressé, et Brigitte nous répondit qu'en effet un traitement très lourd pouvait mettre une personne dans un état d'endormissement qui rendait difficile la psychothérapie, mais que de toute façon et dans tous les cas une démarche psychothérapique était bénéfique.
C'était un travail de grande patience pour lequel elle devait envisager un suivi de plusieurs années avec des séances de durée "élastique" allant souvent jusqu'à une heure et demie.
Elle avait obtenu de bons résultats là où les psychiatres avaient déjà classé la personne comme "incurable".

Ce fut pour moi une information très importante, car je me représentais jusqu'à présent que, dès que les personnes entraient en milieu psychiatrique, elles se retrouvaient inévitablement dans un blocage complet.
Et là, sans rien changer au cadre, la simple intervention d'une psychothérapeute ACP permettait d'infléchir l'évolution et de refaire redémarrer la personne.
C'était fondamental.

Elle eut plein d'autres questions sur les autres aspects de son activité.
Par exemple, son rôle auprès des autres personnels soignants :
infirmier(e)s, secrétaires, standardistes, etc..., avec lesquels elle se retrouvait souvent en relation d'aide informelle, au détour d'un couloir.
Les psychiatres et neurologues, avec lesquels elle ne se positionnait pas en opposition mais en complémentarité, considérant que ceux-ci avec leurs médicaments traitaient l'urgence, et qu'elle-même prenait le relais pour traiter le fond, et permettre la diminution puis l'arrêt du traitement médicamenteux, d'une façon progressive.
Ses succès psychothérapeutiques lui avaient apporté la reconnaissance et l'intégration dans toute l'organisation hospitalière.
C'était pour moi un exemple extrêmement encourageant d'un changement ayant irradié en douceur depuis la base d'un système, qui semblait au départ monolithique et immuable.
Cela avait été possible grâce aux réponses pertinentes apportées par Brigitte à chaque étape de son travail, dans et hors son bureau, là où l'attitude classique n'en donne pas.

Un autre aspect de son travail était de s'occuper du placement de certains malades en familles d'accueil : sélectionner les familles, les mettre en rapport avec la personne, faire un suivi mensuel.
Donc, beaucoup de relationnel, comportant éventuellement une relation d'aide avec ces familles.

Une participante, Nathalie, chargée de l'accueil et de l'accompagnement dans un organisme associatif d'aide aux personnes dépendantes, présenta son propre cas
Dédiée au départ aux personnes dépendantes de l'alcool, l'institution s'ouvrait progressivement à un public plus large, et depuis peu elle se trouvait confrontée à des personnes relevant de l’hôpital psychiatrique.
Cela demandait une démarche d'accompagnement nouvelle, qui n'était pas encore rodée, et son problème était que récemment, le responsable avait dû renvoyer une personne, qui suscitait trop de trouble dans la communauté.
Nathalie, dans sa relation avec cette jeune femme, était certaine de pouvoir lui apporter quelque chose : un changement vers un comportement acceptable n'aurait été qu'une question de jours, lui semblait-elle.
Elle était très troublée d'avoir été privée de l'occasion de lui donner son aide.
La question était donc de tenir compte, dans le suivi d'une personne, de tout l'environnement, et pas seulement de la relation duelle avec celle-ci.
Les structures de l'institution n'étaient pas encore adaptées à recevoir une personne comme celle-ci, et un travail devait être fait pour améliorer ce point à l'avenir.

Une autre participante, Joêlle, présenta également son cas : Il s'agissait d'un enfant dont le milieu familial était très négatif. Pouvait-elle avoir une influence valable sur cet enfant si son environnement familial restait inchangé ? Devait-elle essayer d'influencer la mère, qui était une amie ?
Des différentes réponses et témoignages il ressortit que, puisque cet enfant était demandeur de se confier à elle, sa seule relation avec lui apporterait quelque chose, un point de référence sur lequel il pourrait s'appuyer pour son développement.

Le soir de cette première journée, tout le monde était fatigué du voyage et se coucha tôt.

Nous avions connu Brigitte, notre facilitatrice, lors d'un précédent séminaire intensif à Habère Poche, alors qu'elle nous y avait rejoint pour suivre une séance de supervision avec Giovanella, qui nous facilitait alors en compagnie d'Olga.
Il lui fut alors demandé ce qu'était une supervision, comment cela se passait.
Il y a possibilité de se faire superviser en groupe, ou en individuel, avec une personne qui nous convient.
Elle se sentait mieux en individuel, avec Giovanella.
La première demi-heure elle parlait d'elle-même, puis exposait un exemple de sa pratique professionnelle qui lui posait problème.
Plutôt que de se centrer sur le problème, on se centrait sur elle-même, comment elle se sentait dans cette situation, elle s'exprimait là dessus.
Nous avions justement reçu de la part d'Olga un document destiné à nous préparer intérieurement à une séance de supervision : quelle sorte de questions il nous serait utile de nous poser, dans quelle direction orienter notre investigation pour éclairer notre difficulté dans une relation où nous serions thérapeute ou aidant, ou acteur dans toute pratique impliquant l'ACP.
Ce sont des questions orientées essentiellement sur notre relation avec nous-mêmes et avec le client.

Ayant compris que cette supervision pouvait s'adresser à un large éventail de professionnels mettant en oeuvre l'ACP, je présentai alors ma difficulté à faire cours le samedi matin à Rennes chez mon professeur d'Aikido, particulièrement en sa présence.
Il me semblait devoir faire un cours comme il le voulait, et dans la crainte de risquer de ne pas suffisamment le satisfaire, je me retrouvais la bouche sèche, tendu, contraint et sans plaisir.
J'éprouvais une peur à son égard.
J'associais cela à sa pratique de la musculation, qui lui faisait des "gros bras", et au problème que j'avais eu quand j'étais petit enfant avec un voisin boulanger (donc "gros bras"), qui m'avait grossièrement rejeté de son fournil où la curiosité m'avait attiré.
J'en avais eu un choc dont je n'avais pu me guérir dans les bras d'un autre adulte rassurant.

En cherchant encore, il y avait aussi une distance "philosophique" entre lui et moi.
Il se cantonnait dans une pratique purement matérielle et mécanique de l'Aikido, alors que j'adhérais toujours à l'orientation empreinte de spiritualité et d'une logique différente qui était celle d' Itsuo Tsuda , basée sur le KI .
Je pris conscience de l'importance de cette différence de vision philosophique dans la sensation de distance, presque d'un mur, entre lui et moi.
J'y voyais un peu plus clair, mais cela était plutôt dans ma tête à l'état de concepts, et je n'éprouvais pas avoir résolu quelque chose de profond, d'émotionnel, au dedans de moi.

Sur le thème du mur et de la difficulté à entrer en relation avec quelqu'un, une participante s'exprima sur le mur qu'elle ressentait exister entre elle et son mari, puis entre elle et son père. Et sur sa crainte de vivre des situations répétitives, de renouveler des relations où l'homme ne s'exprime pas.
Disant cela, elle exprima une grande douleur et des larmes.

Une autre partagea sur le même thème, mais plus centré sur la confiance, et l’honnêteté qu'elle attendait de son partenaire.
Un doute devait être impérativement éclairci, et le silence de son partenaire provoquait chez elle de terribles colères, allant jusqu'à l'agression physique. Dans ces circonstances, je comprends le crime passionnel, disait-elle.

Patrick lui pointa qu'agissant ainsi elle mettait son partenaire dans son propre moule, et lui enlevait toute liberté de lui répondre.
Dans un sens plus large, il s'agissait de notre relation avec notre environnement, qu'on ne pouvait pas changer, alors que faisait-on avec ça ?

Le soir nous nous retrouvâmes après le dîner à la terrasse extérieure de la cafétéria, donnant sur le parc, et fûmes vraiment très joyeux, au point d'en avoir mal au ventre de rire.

Le lendemain dimanche un grand silence s'installa.
Patrick en fit la remarque et une participante lui dit que dans ce groupe nous aimions bien ça.
Une autre dit que dans ce séminaire cela lui avait manqué.
Qu'il y avait eu des tas de choses très intéressantes d'abordées, qu'à aucun moment elle ne s'était ennuyée, mais qu'en l'absence de ces silences elle n'avait probablement pas eu l'occasion d'aller plus profond, était restée sur un registre plus "cognitif".

L'autre homme du groupe, Bruno, intervint pour dire qu'il avait apprécié tout ce qui s'était échangé, tout avait été bien clairement expliqué, et que tout était bien rangé dans sa tête.
Mais que justement il n'avait pas vécu avec ses tripes les témoignages des autres participants, comme il le faisait d'habitude, ce qui lui donnait alors l'impression de vivre réellement des expériences différentes de la sienne, et c'était cela qui l'intéressait et le motivait vraiment dans ce groupe.

Mais trois autres participantes exprimèrent l'inverse, qu'elles avaient vécu très profondément ce séminaire, et spécialement au moment où elles avaient témoigné.
C'était en effet des personnes qui habituellement parlaient peu, et je m'étais réjoui de les voir prendre la parole longtemps et avec intensité.

Il fut alors question de la différence de style de facilitation entre Patrick et Olga.
Patrick était plus interventionniste, Olga plus discrète.
Bruno appréciait qu'Olga laisse sa place au groupe, Raymonde voulait des conseils et des solutions, Huguette appréciait d'être sollicitée pour s'exprimer, Anne aimait les exposés théoriques.

Il fut reconnu par tous qu'il était appréciable d'expérimenter deux styles si différents de facilitation, pratiquement à l'opposé, et beaucoup prirent conscience ainsi d'être libres de faciliter à leur manière, à l'intérieur de ce très large éventail.
Patrick dit qu'en effet, prenant la suite d'Olga, il ne fallait surtout pas qu'il se sente obligé de faire comme elle, et il prenait donc le risque d'être lui-même, imperfections y compris.

Cela me fit penser à ma propre difficulté à prendre la suite de mon professeur lors de mes cours d'Aikido du samedi matin. Je n'osais pas y être moi-même.

La plupart remarquèrent qu'en effet Patrick donnait l'impression dans sa facilitation d'être complètement lui-même, et très spontané, et cela était apprécié par tous.

Au moment de se lever pour aller déjeuner, il fut question d'où se tiendrait le prochain intensif, et en quittant la salle, Patrick lâcha : à Habère Poche, et le facilitateur sera Patrick.
Je bredouillai, tout décontenancé : comment, ce sera à nouveau toi ?

Au moment du repas je me sentis tendu, et lors du thé juste avant la reprise j'exprimai à Laurence et Bruno que je me sentais vraiment angoissé à l'idée que Patrick soit à nouveau notre facilitateur, et qu'il allait falloir que j'en parle.

En séance j'exprimai alors directement à Patrick comment je me sentais, en exposant que son style de facilitation m'entraînait trop au niveau de l'intellect, et ne me permettait pas suffisamment de vivre mon émotivité, sauf à pousser de grandes colères pour l'imposer, ce que je craignais et ne voulais pas.

J'avais pu bien vivre ce WE ci parce qu'en ce moment je me sentais bien, et n'avais pas de lourdes choses à sortir.
D'autre part je m'étais préparé intérieurement à cette facilitation par Patrick en envisageant de longues interventions de sa part, qui ne s'étaient pas vraiment produites en réalité.
Cela avait été donc bien pour moi.

Mais je ne pensais pas pouvoir tenir le coup tout de suite après à nouveau neuf jours, car en une période de temps si longue tout, intérieurement, peut m'arriver.

Patrick m'écouta attentivement sans commentaires, disant seulement qu'il prenait note de ma demande à plus d'attention et d'espace à mon émotion, et qu'il ferait de son mieux pour cela.

Une participante intervint en disant qu'elle ne ressentait pas du tout les choses comme moi, et qu'au contraire elle se sentait rassurée par la présence de Patrick.
Qu'elle avait vraiment bien vécu ce séminaire, qu'elle en avait un exceptionnel sentiment de bonheur.
Plus tard, elle ajouta avoir pris conscience de la raison de ce bonheur : elle se sentait réconciliée avec les hommes.

Patrick se mit à pleurer.
Je croyais que c'était de joie, mais il exprima se sentir très triste.
C'était à cause de moi : comment pouvait-il susciter en moi un tel sentiment d'angoisse, alors qu'il faisait de son mieux ?

Je fus surpris, et en même temps touché de sa réaction.
Il s'excusa d'être sorti de son rôle de facilitateur, mais je lui dis qu'au contraire il était en plein dedans, car pour moi c'était cela sa réponse.
J'avais par ses pleurs la certitude qu'il me tenait à coeur, et avait le profond désir de me prendre en considération.
Je lui dis aussi que, rassuré, j'allais être moins exigeant et qu'il pourrait très certainement se permettre des "boulettes" à mon égard, sans que cela ait de conséquences.
Qu'il pourrait se permettre de ne pas être "sous pression" vis à vis de moi, pour me satisfaire.

Pendant que Patrick pleurait, une autre participante pleura aussi.
Elle exprima ressentir ce qu'il ressentait, et sa difficulté devant la peine qu'on pouvait faire à autrui en lui disant la vérité.
Patrick lui dit qu'en effet c'était dur à traverser, mais qu'ensuite cela permettait un développement plus large de la relation et des personnes. Que, dans cette perspective, c'était un mal nécessaire, qui se transformait en bien.

Bruno vint vers moi et dit qu'il avait retrouvé dans cet échange le type d'expérience qu'il recherche dans ce groupe, basée sur l'authenticité, la spontanéité, sans aucune technicité ni jeu de rôle.
Que juste cet instant lui suffisait pour ramener l'ensemble du séminaire au niveau de satisfaction qu'il souhaite pour lui.

Ce fut l'heure des embrassades habituelles.
Cette fois-ci je pris tout mon temps et en profitai bien.

Quatrième session intensive

Elle avait lieu à Habère Poche, comme déjà.
Nous nous y sentons à l'aise, comme chez nous.
On nous donne la clé du bar, nous marquons nous-mêmes nos consommations.
Le cuisinier est aux petits soins, il nous fait des plats recherchés (et souvent lourds à digérer).
Il me fait des menus à part, comme je ne supporte pas le blé, le lait, les pommes de terre.
Le directeur nous raconte ses soucis de gestionnaire, les animateurs (trices) sont sympas, joyeux et discrets.
Par le mur vitré de la salle, nous jetons un regard émerveillé sur l'étendue herbeuse, les arbres plus loin, et enfin la montagne aux sommets enneigés.
Des nuages passent et forment des figures bizarres.
Souvent des biches viennent brouter tout près.
Cette fois-ci, trois sont passées en courant sous notre nez.

Je suis venu en train.
Nous nous sommes retrouvés à 7 le vendredi soir, heureux de cette première rencontre.
Surprise, le lendemain matin, personne d'autre n'arrivait.
Nous avons échangé sur ce que cette absence nous faisait.
Elles sont toutes arrivées en même temps à 14h.
Elles avaient confondu avec l'horaire d'un WE, sauf deux qui avaient prévenu, mais le télex n'avait pas été transmis.

Nos facilitateurs étaient Patrick Kauffmann et Lee Field, que nous avions déjà eue ici même lors de notre premier intensif.
Elle était heureuse de nous retrouver à un autre point de notre évolution et de la sienne, et espérait pouvoir mieux rencontrer les personnes avec qui elle n'avait pu avoir un contact suffisant la première fois.

Nous organisâmes notre travail pour la session, écrivant au tableau ce que les uns et les autres aimeraient voir traiter.
Patrick évoqua un article sur "la nécessaire vulnérabilité du thérapeute" :
L'assurance non accompagnée de vulnérabilité est bloquante.

Je profitai de ce que ce thème était lancé pour parler de ma propre vulnérabilité en Aikido face à certains partenaires, plus gradés que moi, et se mettant dans une situation de supériorité par le savoir.
Face à ces personnes, désireuses de m'enseigner, je perdais mes moyens et finalement apprenais très peu.
J'étais aussi dans une situation très désagréable et pénible.

Pour apprendre, je préférais de loin me trouver avec une personne de niveau égal, avec qui je pouvais échanger des informations et faire des expériences en toute liberté.
Ou même avec un débutant, auprès de qui je devais, pour lui faciliter l'apprentissage, maîtriser le mieux possible mon art.

J'étais spécialement préoccupé par une personne, dont je sentais qu'elle aurait pu m'apprendre beaucoup de choses techniquement, mais que j'évitais parce que je me sentais trop mal à l'aise avec elle, dans une relation non équilibrée.
Beaucoup me répondirent, mais mon embarras et ma préoccupation demeuraient.
A tel point que je décidai de me taire, car j'occupais la parole, sans résultat.

Ce fut l'heure du dîner, et tout le monde partit, sauf Lee, qui vint vers moi, me prit la main et me dit combien elle ressentait ma peine et ma douleur.
Cela me plongea droit dans mon ressenti, et il me revint aussi comme, lors de mes débuts dans ce club, j'avais souffert de l'enseignement trop directif de mes partenaires.
J'avais besoin de plus de liberté, d'espace pour l'expérience personnelle.

Je me sentis compris, reçu, et cela suffit pour me calmer et me sentir bien.
Il ne m'avait été donné aucune solution ni recette, ma peine avait été juste épongée, et je n'y pensais plus.
A présent, 10 jours après, je n'y pense toujours pas.
Je suis curieux de voir ce que cela donnera quand je me trouverai à nouveau face à cette personne, devant laquelle jusqu'à présent je perds mes moyens.
Le lendemain je témoignai de l'intervention de Lee et de la permanence de mon bien-être.

Sur la demande d'une participante, nous décidâmes d'organiser une "chaîne thérapeutique".
Il s'agit de nous entraîner à la relation thérapeutique comme en situation réelle, dans un laps de temps de 50 minutes, chacun étant client de l'un(e), et thérapeute de l'autre (ce n'est pas réciproque. On n'est pas thérapeute de son propre thérapeute).
Nous fûmes 10 à nous coopter, 3 préférèrent rester en dehors de la chaîne.

Marguerite se lance dans la présentation de son carnet de voyage au Maroc.
C'est un cahier dans lequel elle a fait des dessins, et écrit des textes en forme de poèmes.
C'est à l'occasion de ce voyage qu'elle a eu pour la première fois l'envie d'exprimer ses impressions par le dessin et la peinture.

Tout le monde admire son audace à présenter quelque chose d'elle de personnel et intime, elle-même dit que c'est nouveau pour elle d'avoir osé.
Beaucoup disent leur incapacité à en faire autant, à cause du peu de valeur qu'elles s'attribuent à elles-mêmes.

J'avais choisi une thérapeute avec qui j'avais eu une forte relation lors de l'intensif de juillet.
Cette relation s'était un peu relâchée, et j'espérais que lors de ce "tête à tête", elle se renforcerait à nouveau, m'ouvrirait à un vécu plus intense et plus large.

En introduction nous parlâmes de notre relation, puis elle se mit à mon écoute.
Elle m'écoutait en me tenant la main, et cela était d'une grande aide pour moi.
Je la sentais chaleureuse, pleine d'amour et d'attention.
Mes sentiments purent monter librement, et je me trouvai vite en pleurs en évoquant des situations qui me renvoyaient à d'autres plus anciennes et fondatrices pour moi.

Pouvoir les évoquer sous le regard de sa bienveillance fut pour moi comme un nettoyage, ainsi que cela s'était passé avec Lee quand elle était venue vers moi la veille au soir.
Ensuite ces scènes anciennes restaient toujours présentes en ma mémoire, mais comme auréolées de lumière, de force et de beauté, et généraient en moi un bonheur que je ressentais comme inaltérable.
Le douloureux avait été transformé en énergie positive.

A la pose, d'autres participants, en évoquant leur évolution et ce qu'il leur advenait, employaient le mot de "miracle".
Je trouvais que ce mot caractérisait bien aussi mon vécu, et que si on avait à donner maintenant un nom au groupe, on pourrait l'appeler "Miracle".
Mais je n'osai pas faire cette proposition : j'avais été jusqu'à présent opposé à ce qu'on passe du temps à cela, ayant des choses personnelles plus urgentes à régler dans le groupe.

En tant que thérapeute, j'eus Marguerite comme cliente.
Je croyais qu'elle allait me parler du Maroc, et je m'empressai, la veille de l'entretien, de lire soigneusement son cahier, pour me mettre dans son ambiance, m'immerger dans son état d'esprit.
Lors du premier entretien, je me trouvai tendu et assez mal à l'aise, et je craignais qu'elle ne voie mes mouvements de cou, que je fais régulièrement pour tenter de me détendre la nuque.
Cependant elle se trouva bien écoutée, et fut satisfaite de son thérapeute stagiaire.
Elle n'avait pas du tout parlé du Maroc, et je dus faire de gros efforts de concentration pour la suivre dans une tout autre direction, plus personnelle, intérieure et fondamentale.
J'en éprouvais une sorte d'angoisse quant à ma responsabilité d'écoutant, après coup cependant.
Sur le moment, je ne pensais à rien d'autre qu'à la suivre, coller à son parcours et en accentuer ce qu'elle-même dégrossissait.
C'était comme passer du trait noir sur les légères esquisses qu'elle faisait au crayon.
Nous faisions comme une oeuvre en commun.
Nous nous disions aussi que nous étions comme des alpinistes en cordée.
Elle ouvrait la voie, et moi derrière, je plantais les pitons pour assurer la progression.

Les deux et troisième fois, je fus plus à l'aise et détendu, et elle toujours aussi satisfaite de mes services.
Comme payement, en fin de séance, je recevais une grande embrassade.
Je me dis que c'était un payement bien agréable, et que je pourrais bien en généraliser la pratique.

Le mardi matin, je décidai comme Marguerite de me lancer moi aussi dans l'exposé de quelque chose de personnel, qui me tenait profondément à coeur, et dont je n'avais jamais osé parler en grand groupe.
J'en avais parlé individuellement à tel ou telle, et même fait une démonstration particulière.

Il s'agissait du Katsugen .
J'y avais pensé parce que, dans les thèmes à traiter lors de cet intensif, figurait la tendance actualisante.
En entendant Lee en parler, il me parut évident que le Katsugen avait pour but, comme l'ACP, de permettre en nous à la tendance actualisante de s'exprimer au mieux de ses possibilités.
Seulement, au lieu que cela passe par le support du verbe, de la parole, du signifiant, cela passe par la sensation et l'énergie pure, le ressenti corporel le plus basique.
J'ai expérimenté que le Katsugen seul n'est pas suffisant pour notre évolution personnelle :
On a besoin aussi, et combien, du verbe, du signifiant.
Mais il cultive une dimension qui est ignorée dans notre culture, trop tirée vers le mental, l'intellect, le rationnel.
Le Katsugen est bon pour rééquilibrer notre être vers le bas (et ce n'est pas péjoratif) :
Ressentir que nous sommes aussi un corps, renouer avec lui, lui faire confiance, en avoir du plaisir et de la force.

Je proposai donc une séance pour le soir même, à laquelle j'eus le plaisir d'avoir 10 participants.
Nous étions assis en rond sur des chaises moulantes et au dossier bas, ce qui laissait le buste libre et le fondement bien tenu.
Nous étions dans notre salle de travail habituelle, et Lee avait eu la bonne idée d'amener deux bougies, ce qui nous a permis de travailler lumière éteinte, dans la pénombre.

Je fus le premier surpris de l'intensité de cette séance.
Je m'étais senti calme, et avais donné mes explications posément.
Le Katsugen, c'est un peu comme un groupe de rencontre. On ne peut pas savoir à l'avance ce qui va se passer.
Rien n'est garanti, cela dépend uniquement de ce qui se passe à l'intérieur des participants.
Je donne quelques consignes, quelques signaux, mais ne contrôle rien.
Il pourrait très bien ne rien se passer.
Cela m'est arrivé déjà, avec des personnes non motivées, qui étaient venues seulement parce qu'on le leur avait ordonné.

Or la plupart ressentirent énormément de choses, chacun, à sa façon, et beaucoup bougèrent, selon le mouvement spontané qui se déclenche normalement lors d'une séance de Katsugen.
Il est rare qu'il se déclenche du premier coup, il faut en général un certain nombre de séances pour cela, quelquefois de nombreuses, comme pour moi lorsque j'ai débuté.
Je remarque que beaucoup de mes nouveaux clients bougent du premier coup, ces temps-ci. Je dois devenir meilleur.
Une des participantes m'abasourdit même, en disant qu'elle avait retrouvé le contact avec son corps, et le ressentait comme un ami sûr, sur qui elle pouvait compter.
Il m'avait fallu de nombreuses années pour arriver moi-même à cela.

J'en conclus que cela devait être la synergie entre ACP et Katsugen.
Et aussi la relation privilégiée que nous avions entre nous, depuis un an et demie que nous nous fréquentions.

Parmi les thèmes de cette session, il y avait :
"Comment convaincre en 1/4 d'heure un chef d'entreprise de l'utilité de l'ACP", par Patrick.
Dès qu'il fut question de cela, je m'éclipsai, suivi de deux compagnes.
Nous nous installâmes au fond de la salle de détente, vide à cette heure, et échangeâmes d'une façon plutôt informelle, mais très riche.
A la pause, une troisième vint nous rejoindre, qui avait reçu un coup de "sans fil" perturbant en provenance de sa famille.
Nous lui donnâmes notre soutien attentif.

Dans cette session, le téléphone tenait une certaine place.
Il sonnait souvent, et apportait quelquefois de mauvaises nouvelles, suscitant aussitôt la proposition d'aide de plusieurs d'entre nous vers la personne concernée.
Il y eut ainsi plein de micro-groupes qui se créèrent, sans que des concertations préalables n'aient été faites, vu l'urgence et la nécessité.

Dans le lot des personnes perturbées il y eut notre facilitatrice Lee, que je ne m'attendais pas à voir fragile.
J'avais en effet du séminaire précédent gardé d'elle un souvenir de femme plutôt battante, qui assure, rationnelle (elle avait fait un brillant exposé sur son travail en entreprise) et cette image m'avait plutôt intimidé et incité à me tenir à l'écart.
Ses évidentes dispositions à la relation d'aide, que j'avais vues en action en groupe, dans des interventions précises et pertinentes, m'avaient fait l'apprécier mais pas me rapprocher.

Mais la voir avec des émotions (hors du groupe, je précise ; elle ne voulait pas nous prendre notre temps), être perturbée comme je le suis souvent, me la faisait ressentir être "comme moi", et alors je me suis bien rapproché d'elle et suis entré en contact pas différemment d'avec une autre personne du groupe.

Cela me rappelle ma relation avec une autre animatrice, lorsque je participais à des séminaires de "Communication Non Violente" (voir leur site à la page "liens").
Elle était tellement parfaite et professionnelle que, malgré sa simplicité évidente, je me tenais là aussi au fond de moi en retrait.
J'ai même abandonné ce type de travail, persuadé en la voyant à l'oeuvre que je n'arriverais jamais à faire aussi bien qu'elle.
Je ne comprenais pas comment elle faisait.
En ACP, cela me paraît plus simple et accessible : Il me suffit d'être moi-même.
Il n'y a rien qui me semble mystérieux.

Dans cette session je me suis senti plus proche de mes facilitateurs que les fois précédentes.
J'ai pu avoir des échanges avec Lee, que j'ai sentie sensible, et avec Patrick, avec qui j'ai eu le courage d'avoir quelques explications car j'avais mal pris certaines de ses blagues.
(Par exemple : katsugen, une activité de quat’sous. J’ai été très choqué !)
Dire chaque fois mon mal-être a bien éclairci l'atmosphère et installé entre nous une relation confiante et chaleureuse.
Heureusement, c'est possible.

J'ai moi-même un bon sens de l'humour, et aime bien plaisanter.
Mais toute blague peut être blessante, et j'ai appris par l'expérience à être très prudent dans ce domaine.
Je préfère à présent me passer d'un bon mot que de risquer de blesser quelqu'un.
C'est d'autant plus risqué quand on est dans une position dominante : animateur, professeur, etc....
Cela peut percuter encore plus.

J'ai eu aussi une relation plus proche, plus affectueuse, avec toutes mes compagnes, dès le début..
Je n'ai pas eu besoin d'attendre la fin du stage pour avoir mes embrassades, j'en ai eu tout le long du séminaire.
Qu'est-ce qu'elles me trouvent donc ?
C'était bien agréable. Nous étions comme une grande famille.

Il n'y en avait qu'une que je remarquais éviter soigneusement, instinctivement.
Je ne me mettais jamais à côté d'elle, j'évitais son regard.
C'était toujours la même, qui m'avait rappelé ma grand'mère paternelle.
Mais à présent, je ne voyais plus en elle cette grand'mère, et cependant je me tenais toujours à distance.
Qu'était-ce donc ?
J'en étais très gêné, je trouvais dur de la tenir ainsi à l'écart.
Je m'en ouvris à elle à la fin, dans le petit groupe qui restait au dernier moment du stage.
Il y avait eu depuis le matin des départs échelonnés, nous étions peu à demeurer jusqu'à la fin.

Nous nous fîmes tout de même une accolade, et elle me serra si fort que je compris alors le pourquoi de mon évitement.
J'en étais très mal à l'aise, c'était trop pour moi.
J'avais déjà vécu cela avec elle et je l'avais oublié, mais mon subconscient s'en souvenait.
Je me dis cependant que je n'étais plus un enfant, que j'étais un homme maintenant, et que je pouvais bien résister à cela.
Je n'allais pas être détruit.
J'en suis sorti, mais je ne sais pas comment je vais me comporter la prochaine fois.

Un évènement exceptionnel avait lieu lors de cette session :
Nous cohabitions lors du deuxièmes WE avec le groupe de formation 14, qui arrivait en fin de cycle.
C'était son avant-dernier WE dans sa formation de trois ans.
Nous étions très intéressés de rencontrer des collègues, plus anciens qui plus est.
Mais de quelle façon les rencontrer ?

Des discussions interminables eurent lieu.
Certains voulaient ne les rencontrer que de façon informelle, au cours des pauses ou des repas.
D'autres, dont j'étais, voulaient qu'on organise une grande rencontre en faisant une réunion des deux groupes, durant 1/4 de journée.
Il y avait aussi la solution qu'une partie de nous seulement les rejoigne.

Nous étions pressés par l'urgence de la fin proche de notre séminaire, avec encore plein de choses à traiter.
Nous n'avions pas abordé tout ce que nous avions projeté.
Finalement, aucune décision ne fut prise pour la rencontre.
Nous nous rencontrâmes informellement, et ce fut très chouette.
Le soir, nous traînâmes bavarder au bar.
Je trouvais ces personnes très sympathiques, et certaines très belles, et j'étais heureux d'imaginer que la pratique de l'ACP les avait conduites à cet état.

Le dernier thème en suspens était "le silence".
Depuis le début du séminaire, nous étions sur le point de parler du silence, mais juste avant quelque chose d'imprévu venait s'interposer, et le thème était mis de côté.
A présent, nous étions arrivés à la fin, il était grand temps d'en parler, et plusieurs d'entre nous s'impatientaient à ce sujet.

L'une d'entre nous s'emporta contre nos discussions futiles, qui lui rappelaient les réunions qu'elle devait subir à son travail, et la violence de son propos fit réagir plusieurs, qui tombèrent en larmes, car replacées dans des situations personnelles où elles vivent avec grande difficulté la violence ou le rejet d' un proche.
L'exposé sur le silence, qui avait été amorcé par Lee, fut donc à nouveau escamoté, mais je ne le regrettai pas, car il s'agissait en fait d'une étude scientifique sur les effets thérapeutiques de la retraite, dans le silence et la solitude chez les moines bouddhistes, et je ne me sentais pas du tout concerné par ce sujet.
J'avais cru, et d'autres comme moi, qu'il s'agissait du silence qui s'installe lors d'un groupe avant que quelqu'un ne se décide à parler, ou lors d'un entretien thérapeutique lorsque le client se tait.
Que convient-il de faire dans ces cas là ?

Mais nous reprendrons ce thème plus tard, sans doute.

Je quittai cette session en superforme, ayant le sentiment d'avoir engrangé quantité de force, d'équilibre et de mieux-être, et je rentrai ravi.
A mon arrivée, ma mère m'en fit la remarque : elle me trouvait changé, dans le bon sens, naturellement.